Nous voici parvenus au terme du cycle annuel de conférences de l’IRHT, dévolu en 2000-2001 aux traductions au Moyen Âge et à la Renaissance. C’est un très grand sujet, à tel point que tout médiéviste, en permanence, a affaire, directement ou indirectement, avec lui. C’est un si grand sujet, que ce n’est pas un sujet du tout ou, pour mieux dire, qu’on ne peut sérieusement l’aborder que secteur par secteur, comme il a été tenté de le faire cette année, et sans rêver d’une synthèse en un propos unifiant.
Nous avons entendu des conférences portant sur des thèmes divers en eux-mêmes, divers aussi en ce qui concerne l’implication de l’IRHT dans leur traitement. Certains ne sont pas l’objet de travaux à l’IRHT, mais ils sont classiques et forment une toile de fond nécessaire à toute étude du Moyen Âge : c’est pourquoi il était indiqué de les aborder cette année ; d’autres, non moins classiques et fondamentaux, font l’objet de travaux de certains d’entre nous, mais plutôt à titre personnel qu’en tant que programmes de section ou, à plus forte raison, du laboratoire ; dans d’autres enfin, il apparaît que l’IRHT, mais cette fois encore à l’initiative individuelle de collègues, ouvre des voies nouvelles.
Dans la première catégorie on peut ranger en partie la deuxième séance, qui a porté sur les traductions patristiques : on se garde d’oublier le rôle tout particulier de la section grecque de notre institut dans ce domaine ; mais, du côté latin, l’effort de François Dolbeau, qui a travaillé alors, et depuis lors, sur maintes traductions anciennes du grec, n’a pas été maintenu après son départ, il y a près de quinze ans. C’est pourquoi, pour mettre cette séance sur pied, Paul Géhin a dû ne faire appel qu’à des conférenciers extérieurs : M. Lamberz, à propos des traductions latines des actes des conciles grecs, sujet aussi technique que fondamental pour l’histoire de l’Église ; M. Yves-Marie Duval, qui nous a appris des choses sur les traductions de Jérôme, que l’on croyait ici bien connaître ; M. Jean-Pierre Mahé, qui nous a entretenu des traductions arméniennes et nous a laissé apercevoir quelque chose de la vie des textes, intense et ô combien complexe, dans les langues de l’Orient chrétien, — vie qu’on ignore avenue d’Iéna. Chacun, surtout le premier et le dernier, nous ont fait entrevoir des mondes presque inconnus de la plupart d’entre nous et nous ont rappelé, s’il en est était besoin, que le Moyen Âge que nous couvrons, malgré sa diversité, n’est pas tout le Moyen Âge ; or, l’humilité n’est pas seulement une pieuse vertu, c’est aussi un bon principe de méthode scientifique.
Il en va de même de l’objet de la quatrième séance, les traductions scientifiques, suivant la grande chaîne qui mène du grec au syriaque, du syriaque à l’arabe, de l’arabe ou, de nouveau, du grec au latin (même si, pour l’ultime maillon de la chaîne, les langues vernaculaires, notre collègue Madame Fery, à la section romane, si j’ose dire, est orfèvre) ; mais le domaine est, en amont, si peu couvert chez nous que nous avons fait appel à Madame Danielle Jacquart (à vrai dire, on ne pouvait faire un meilleur choix) pour l’organisation de la séance. Ce sont donc Madame Nicoletta Palmieri, à propos des traductions d’Hippocrate, M. Charles Burnett pour ce que j’oserais appeler l’âge classique des traductions scientifiques médiévales, M. Tony Lévy pour l’apport particulier des traducteurs juifs, Madame Joëlle Ducos pour la mise en vernaculaire français (réflexion qu’a prolongé aujourd’hui Madame Boutroue), qui nous ont fait réfléchir sur un thème unique : les compétences linguistiques et techniques, des traducteurs de textes scientifiques.
En revanche, trois lieux classiques de la thématique des traductions sont illustrés chez nous de façon suivie, grâce à des recherches individuelles : la Bible, la philosophie et les traductions à la Renaissance. La première séance et, pour partie, la dernière, qui vient de s’achever, ont porté sur la Bible : Madame Pellistrandi, qui organisa la première, est experte en Bible, mais c’est hors de l’IRHT. qu’elle s’y consacre ; à l’inverse, si Madame Olszowy-Schlanger a bien voulu nous entretenir des traductions arabes de la Bible hébraïque, ce n’est pas l’objet habituel de ses travaux ; autre cas encore, Madame Fellous, qui n’a pas eu à intervenir parce que nous avions privilégié, dans cette séance, les périodes hautes, travaille depuis longtemps sur une traduction de la Bible hébraïque en castillan, au XVe siècle. Si bien que, par la force des choses, les exposés que nous avons entendus ce jour-là ont eu, et c’est ce qu’il fallait en l’occurrence, un caractère introductif : Madame Jacqueline Fine, à propos des méthodes de traduction mises en œuvre dans la Bible dite des Septante ; Madame Olszowy ; M. Gilbert Dahan, à propos des correctoires des manuscrits de la Bible latine au xiiie siècle (suscitant la fort intéressante question de M. Dolbeau : l’« hébreu » des correcteurs vient-il d’une connaissance nouvelle du texte hébreu, ou à la prise en compte d’anciens florilèges ?).
Depuis la fondation même de l’IRHT, les traductions philosophiques, objet de notre troisième séance, sont un de nos points forts. Ce n’est pas en vain que Georges Vajda, le maître de plusieurs d’entre nous, y a travaillé pendant quarante-cinq ans. À la section hébraïque, sa disciple, Mme Colette Sirat, et, dans une faible mesure, celui qui vous parle ; à la section arabe, aujourd’hui, M. Marc Geoffroy, sont spécialistes de traductions philosophiques. Grâce à la fois à l’intérêt de tel collègue pour les sources pseudo-dionysiennes, à la dominante philosophique de la Bibliographie annuelle du Moyen Âge tardif qui s’y élabore, à la prochaine arrivée, en tant qu’ingénieur, de Mme Bermon, agrégée de philosophie et auteur d’une thèse sur Grégoire de Rimini, la section latine peut et doit devenir à son tour un pôle de philosophie, ce qui veut dire nécessairement aussi, d’intérêt pour les traductions philosophiques : le cycle thématique de 2001-2002, qui portera sur la philosophie médiévale, sera assurément, bien des fois, l’occasion de reparler des traductions. Aussi M. Geoffroy a-t-il pu jouer la difficulté, en réunissant, autour d’un texte unique (mais quel texte !), le livre Lambda de la Métaphysique d’Aristote, en une véritable séance de séminaire spécialisé, les experts des traductions arabes de ce texte, MM. Pierre Thillet (Paris I), Jules Janssens (Louvain-la-Neuve), et lui-même. Séance très instructive même pour ceux qui n’auraient pas saisi chaque nuance des termes grecs et arabes qui furent discutés, parce que nous y avons vu de la façon la plus concrète le travail de détail des éditeurs de traductions médiévales et ses difficultés spécifiques : nos manuscrits sont-ils fautifs, ou ceux dont s’est servi le traducteur ; quelle faute est-elle possible selon quel type d’écriture ; telle parenté entre deux traductions implique-elle que l’auteur de l’une connaissait l’autre, ou ne se sont-elles pas plutôt référées toutes deux à un même commentaire grec ? Et bien d’autres questions de cette nature.
Mademoiselle Boutroue, Monsieur Lardet ont illustré aujourd’hui même, pour notre septième séance, l’attention que nos spécialistes de la Renaissance attachent aux traductions, ce qui est pour ainsi dire inévitable car les traductions effectives et la réflexion conjointe sur la traduction, l’origine et la rhétorique sont au fondement même de la pensée et de la culture de cette période. Madame Catherine Dejeumont a en quelque sorte bouclé notre dossier de l’année en nous reconduisant à la Bible dont nous étions partis (mais il s’est agi, cette fois, du Nouveau Testament) et en ouvrant, avec le texte de Luther, une fenêtre vers une autre langue vernaculaire que celles qui sont habituellement cultivées chez nous.
Enfin, deux autres séances ont montré l’aptitude de l’IRHT à tracer des voies nouvelles : suivant une piste frayée, à l’occasion du colloque de l’IRHT sur les traductions tenu en 1986, par le regretté André Vernet, Madame Fery a défendu, à l’occasion de la séance qu’elle a tenue au mois d’avril, l’intérêt d’une enquête systématique, accompagnée d’une problématisation, portant sur le phénomène des traductions des langues vernaculaires en latin : quels textes sont concernés, dans quelles conditions, quels sont alors les positions réciproques des langues impliquées, – sont-elles en concurrence, s’agit-il de légitimation, d’inscription dans une tradition littéraire, de mise en réseau mondial avant la lettre, et bien d’autres questions encore. À l’occasion d’une journée de travail dont les conférences de l’après-midi ne furent que la partie publique, elle a fait apparaître tout à la fois la réalité et la diversité de l’objet en question et sa propre aptitude à mobiliser une équipe internationale de chercheurs de haute valeur pour l’étudier avec elle.
Avec « le français et le latin des actes administratifs : échanges linguistiques et rapports de droit », Mme Caroline Bourlet, en étroite liaison avec M. Serge Lusignan, de l’université de Montréal, a révélé, lors de la séance du mois de mai, nombre de questions posées à un océan de textes qu’il est inhabituel d’interroger sous l’angle du rapport des langues, si bien que les spécialistes de textes littéraires ou savants omettent généralement d’en tenir compte (sur un plan quantitatif, c’est l’alouette qui dissimule le cheval), tandis que les historiens négligent cette dimension purement littérale, riche pourtant, pour eux, on l’a compris ce jour-là, d’interrogations ou d’enseignements.
Après tant d’exposés si divers, il n’y a pas lieu de se livrer à une synthèse factice. Il faut d’abord remercier tous ceux qui, à l’intérieur et à l’extérieur du laboratoire et par des contributions diverses, ont rendu le cycle possible et, semble-t-il, permis sa réussite, tant sur le plan intellectuel qu’en termes d’organisation. Il faut ensuite réfléchir ensemble à la suite à donner, ou non, aux travaux de cette année.