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La notion de document (7 novembre 2002)

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  • Paul Bertrand, Introduction : érudition et diplomatique

1681 : Mabillon publie son De re diplomatica. Il donne à la critique historique son élan. Nul besoin d’insister ici sur son rôle fondamental dans la recherche du vrai, dans le discrimen veri ac falsi. Son approche de l’acte diplomatique en tant que tel, profondément novatrice, a jeté les bases d’une discipline restée fondamentale dans tous les sens du terme.

La question qui nous occupe ici est celle de la place, du rôle de l’érudit dans la définition du concept de « document » par rapport à celui de manuscrit : document étant entendu ici de façon abstraite, par opposition. Il s’agit bien sur de ces sources de la diplomatique au sens large, chère à Robert-Henri Bautier, cette diplomatique qui élargit son champ de vision au-delà des actes normatifs, des chartes, aux documents de la pratique, aux instruments de gestion et d’administration.

Mais gardons par commodité, actuellement, le concept de document et posons la question : quand émerge dans la conscience de l’érudit la distinction entre le document et le manuscrit ? L’érudit se préoccupe-t-il d’une typologie de ces sources ? Et si oui, quand apparaît-elle ? Comment l’érudit traite-t-il ces textes normatifs et de la pratique ? S’intéresse-t-il aux originaux de la même façon qu’aux copies ? Quelle est sa méthode de travail ?

Mille autres questions se posent, toutes aussi essentielles. Et les réponses ne seront pas si simples. À ce propos, je prendrai à témoin le De re diplomatica, lui-même, avec comme exemple un peu convenu, les cartulaires. Au début du livre I et à la fin du livre III, Mabillon porte son attention sur les cartulaires, ces documents « qui autographorum vice fungerentur ».

Très critique dès les premiers abords, Mabillon met étonnamment sur le même pied polyptyque et cartulaire :

Primus fuit codex chartaceus (chartularium seu chartarium vocant) in quem diplomata aliaeque chartae ex ordine integrae referebantur. (…) alius liber censualis, polyptychus dictus, qui ecclesiae seu monasterii praedia annuosque census summatim exhiberet. (…) Polyptychae antiquiora mihi videntur chartaceis libris seu chartulariis, ex quibus nullum inveni conditum ante seculum decimum.

Mabillon ne s’en tient évidemment pas à ces commentaires. Il donne une typologie des cartulaires – qu’il appelle chartaria, même s’il connaît bien le terme chartularia, qu’il semble considérer comme plus péjoratif. D’abord le cartulaire historique, « in quibus ita connectuntur vetera monumenta, ut rerum eo in loco gestarum series simul explicetur, et ex illis monumentis eliciatur… » Alliant et confondant gesta et acta, ces ouvrages, à l’image des gesta de Saint-Bertin par Folcuin, il les porte au pinacle : de ceux-là, parce qu’ils ont été mis en place par des « scriptores historici, de eorum auctoritate dubitare sane iniquum esset ».

L’autre genre de cartulaire, le cartulaire authentique, aux actes reconnus, collationnés et authentifiés par marque notariale. Il est sont tardif, mais Mabillon lui accorde tout crédit.

Enfin, le troisième type : ceux qui « puram instrumentorum collectionem continent », « a privatis scriptoribus factam absque publica auctoritate et recognitione… Talia sunt pleraque chartarie, quae in ecclesiis tum cathedralibus et collegatiis, tum coenobialibus habentur jam inde a seculo decimo ». Et il ajoute : « De horum omnium auctoritate agendum est ». À propos de ces derniers, il est très critique : il faut se méfier de leur contenu, susceptible d’avoir été trafiqué : « at corrupta sunt, eis, in illis chartariis, quaedam instrumenta : spuria etiam nonnulla… verum autographa non sunt haec instrumenta ».

Que déduire de cette typologie « primitive » ? D’abord que nous sommes à la croisée des chemins : d’un côté une diplomatique qui s’affirme, soutenue par une critique déjà éprouvée des documents, soumis à des études de fond et de forme. De l’autre côté, une confusion des genres aux relents encore vaguement médiévaux, mais surtout bien propres au xviie s., alliant histoire, véracité et authenticité. La foi en l’historien que professe Mabillon, lorsqu’il parle des cartulaires historiques, lorsqu’il admire l’œuvre d’un Folcuin, est partagée par les hommes de son temps, comme on le constate quand on pose le regard sur les cartulaires des xviie et xviiie s., souvent eux aussi « historiques » à la manière de Mabillon : émis au sein d’institutions par des particuliers, les séries d’actes copiés y sont noyées au beau milieu de statuts, de listes d’abbés, de confréries, de textes narratifs relatant les fondations, de copies d’inscriptions épigraphiques… Le genre du cartulaire chronique – cartulaire historique, assez couru alors, aurait-il influencé Mabillon ?

De même, les cartulaires authentiques : rappelons que Mabillon vit dans une société régie par le monde notarial, leur intervention est constante à tous les niveaux de la société et pour tout objet. On comprend mieux son désir de mettre en avant ces cartulaires « authentifiés ».

Ainsi, on peut dire que Mabillon, enfant de son temps, a eu l’intuition d’une typologie des cartulaires encore balbutiante : cette typologie attend ses artisans – nous espérons, à la section de diplomatique de l’IRHT, être, à la suite de bon nombre de diplomatistes, de ceux-là.

Mais on peut dire aussi que le chemin vers une clarification de la notion de « document » est encore, à l’époque de Mabillon, bien long, tortueux, passionnant à découvrir.

  • Jean-François Nieus (Université catholique de Louvain) − Le traitement des chartes aux XVIIe et XVIIIe siècles : l’exemple de la documentation relative au comté de Saint-Pol

La conservation des sources diplomatiques du Moyen Âge est partiellement tributaire des travaux d’érudition des XVIIe et XVIIIe siècles. La documentation relative à l’histoire médiévale du comté et des comtes de Saint-Pol, particulièrement malmenée au fil du temps, servira de référence concrète pour une mise en perspective de cet aspect fondamental de l’héritage des « antiquaires » que fut la copie de dizaines de milliers de chartes. L’exemple saint-polois offre l’occasion de passer en revue différentes catégories d’érudits (mauristes, bien sûr, mais aussi historiographes, généalogistes et administrateurs de tous horizons) qui développèrent autant d’approches spécifiques du document médiéval. Un accent particulier sera mis sur trois figures du XVIIe siècle : André Duchesne († 1640). Auguste Galland († 1641) et Charles du Cange († 1688).

  • Sébastien Barret (Technische Universität, Dresden, SFB 537) − Lambert de Barive et la documentation clunisienne

L’avocat bourguignon Louis-Henri Lambert de Barive a travaillé une vingtaine d’années (entre 1770 et 1790), au service du Cabinet des chartes, dans les archives de l’abbaye de Cluny, où il a copié plusieurs milliers de documents. Outre le résultat de ses travaux, sa correspondance avec le Cabinet et quelques recueils de ses notes, prises à Cluny ou ailleurs, permettent de cerner les conditions matérielles et intellectuelles de son activité érudite et les conceptions documentaires sous-jacentes.

N.B. Cette communication a été publiée en 2005 sur la plateforme Ædilis (http://aedilis.irht.cnrs.fr/erudition/jeudi_erudition_2.htm).


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